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Editorials
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Affichées le mercredi 16 octobre 2003
                                   
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Les nouveaux tontons macoutes
               
Par Axel Gyldén

Réfugié en France, l'ex-policier haïtien Jean-Panel Charles dévoile la terreur qui règne dans les commissariats de son pays

Au milieu des années 1990, poussé par un noble idéal, Jean-Panel Charles, aujourd'hui âgé de 36 ans, s'engage dans la police haïtienne: «Je rêvais de servir la démocratie que le président Jean-Bertrand Aristide, rétabli dans ses fonctions par les Etats-Unis, promettait d'instaurer.» Mais le rêve a tourné au cauchemar. Témoin de la dérive autoritaire du pouvoir, ce policier du commissariat Delmas 33, a, le 8 août, pris le chemin de l'exil. Une défection fracassante: avant de quitter Haïti pour la France, où il a demandé l'asile politique, le policier a, sur les ondes de plusieurs radios locales, détaillé avec un grand luxe de précisions le quotidien brutal, fait de tortures et de meurtres, de son commissariat d'un faubourg de Port-au-Prince. © J.Chatin pour L'Express

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J. Chaton pour l'Express

Jean-Panel Charles

Jean-Panel Charles. Un témoin de la dérive autoritaire du pouvoir.

Attablé dans un bistrot parisien, l'air perdu, il persiste et signe: «Depuis deux ans, la force publique se spécialise dans les viols, les vols, les bastonnades, les exécutions sommaires, les arrestations suivies de disparitions.» Il précise: «La situation s'est nettement dégradée avec le lancement de l'opération «Zéro tolérance», fin juin 2001. Depuis, les ''attachés'', exécuteurs des basses œuvres du mouvement Lavalas, le parti dévoué au président Aristide, ont pris leurs quartiers dans les commissariats avec la bénédiction du chef de l'Etat.» Civils armés, sans formation ni salaire, avec jeans et tee-shirts noirs en guise d'uniforme, ces nouveaux tontons macoutes persécutent les militants de l'opposition, mais aussi les commerçants, les propriétaires de véhicules neufs ou quiconque possède le moindre pécule. «Ils sont cruels et analphabètes, et rien ne les arrête dans leur brutalité: j'ai vu des femmes enceintes giflées ou battues avec des cocomaques [grands bâtons], raconte l'ex-flic. Organisés en petits gangs, certains ont baptisé leur unité «armée cercueil» ou «armée cannibale».» Des séances de torture dans une cellule secrète

Bastion des «attachés» - on en dénombre 200, pour 50 policiers - le commissariat Delmas 33 est le sinistre théâtre de séances de torture. «Elles se déroulent dans une cellule secrète. Ensuite, les victimes sont souvent exécutées dans des terrains vagues, la nuit, sous le couvert de prétendus transferts à hôpital.» Jean-Panel Charles estime à «au moins une centaine» le nombre des assassinats imputables à son commissariat depuis un an.

Indigné par ces pratiques, ce policier assure avoir sauvé d'une mort certaine des personnes en garde à vue. Voilà quelques semaines, il entend, par un vasistas, la voix terrorisée de trois voleurs à la tire qui le supplient: «Chef-là, sovèm! [sauve-nous]. Ils vont nous tuer ce soir!» Aussitôt, Jean-Panel Charles consigne leurs noms sur le registre des entrées. Une formalité dont se dispensent les «attachés» afin de ne laisser aucune trace des prévenus qu'ils veulent liquider. Puis Jean-Panel Charles alerte la très active ONG Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR), qui visite régulièrement les commissariats de police pour y constater les irrégularités de procédure et les dénoncer aux médias locaux.

«J'ai compris que mes jours étaient comptés»

Mais, fin juillet, le policier trop zélé est convoqué par son supérieur, le commissaire Emmanuel Monpremier. «Il m'a demandé de quoi je me mêlais. Puis il m'a menacé. J'ai compris que mes jours étaient comptés. Après avoir enregistré mon témoignage sur cassette et avoir confié cette bande de quarante-cinq minutes à Radio Métropole et à Radio Kiskeya, j'ai pris le maquis.»

Déraciné, voici Jean-Panel Charles devenu parisien. Sans nouvelles de sa famille, il se remémore avec effroi l'atmosphère de peur qui règne là-bas, dans son quartier. «Le soir, les gens se terrent à la maison dès 19 heures tandis que des ''attachés'' rôdent à bord de voitures de police. Ils organisent des pseudo-perquisitions et débarquent chez les gens pour les détrousser.» Si ce n'est pas l'anarchie, cela y ressemble étrangement: «La moindre querelle de voisinage peut se terminer dans le sang. Pour régler leurs différends, certains habitants font appel aux attachés, lesquels se vendent au plus offrant», se désespère le dissident haïtien réfugié à Paris, hanté par ses souvenirs. Ses rêves de démocratie semblent bien loin.

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