French Forum - Les nouvelles du mois de janvier 2004
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Affichées le mercredi 28 janvier 2004
                  
Haiti: Barbarie reportée par Paris Match  
                     
                    
Affichées le mardi 20 janvier 2004
                     
L'église reconnaît que son compromis politique est difficilement applicable
                
By Agence France-Presse

PORT-AU-PRINCE, Haiti, 20 Jan. - La Conférence épiscopale d’Haïti (CEH), organe dirigeant de l’Eglise catholique haïtienne, a reconnu mardi que sa proposition de compromis politique pour sortir Haïti de la crise institutionnelle paraissait aujourd’hui difficilement applicable, en raison de "l’escalade de la violence". La conférence épiscopale "prend acte de la difficulté à appliquer sa proposition" du 21 novembre dernier, "en raison du contexte qui a changé", a-t-elle annoncé dans un communiqué.

Cette proposition prévoyait de profondes réformes dans la police et d’assister le président Jean Bertrand Aristide par un conseil de neuf sages émanant de la Cour de cassation, des partis politiques (pouvoir et opposition), des églises (catholique, épiscopale et protestantes), du patronat et des organisations de défense des droits de l’homme.

Ces mêmes entités auraient ensuite désigné des représentants dans un nouveau conseil électoral de consensus, afin de préparer des élections législatives puis présidentielle.

Cette proposition avait successivement reçu l’aval des Etats-Unis, principal partenaire politique d’Haïti, qui avaient estimé que la proposition pouvait être éventuellement réactualisée, puis de la France.

Mais les évêques (note de presse) ont pris acte mardi de la détérioration quotidienne de la situation et de "l’escalade de la violence", visant notamment "les enfants, les étudiants et les familles", ainsi que des "attaques brutales de bandes armées, et (de) l’utilisation de gangs armés intégrant même des mineurs pour terroriser la population".

"Ces faits déplorables ont provoqué l’indignation et laissent planer dans l’esprit de beaucoup le doute sur la volonté réelle du pouvoir de rechercher une entente" indique la Conférence.

"On ne prône pas sincèrement la paix en tolérant la perpétration de tels actes contre les personnes et la propriété privée" soulignent les évêques.

"Nous croyons sincèrement qu’il est encore temps pour chaque acteur de prendre une décision personnelle, courageuse et patriotique, de nature à éviter au pays une catastrophe irréparable en cette année du bicentenaire de notre indépendance", écrivent-ils encore.

Début janvier, la fronde anti-Aristide a franchi une nouvelle étape avec la signature d’un texte commun par les représentants de la société civile et des partis d’opposition demandant sa démission et celle de son gouvernement dans les plus brefs délais. Depuis plusieurs semaines, des manifestations à répétition sont organisées en ce sens, surtout à Port-au-Prince.

Une rencontre est prévue mardi et mercredi à Nassau (Bahamas) entre les représentants de l’opposition et la Caricom (organisation des Etats de la Caraïbe).

La semaine dernière, le président haïtien Jean Bertrand Aristide, qui entend rester à son poste jusqu’en 2006, s’est engagé à organiser des élections législatives en Haïti "dans les prochains six mois", alors que depuis une semaine le pays se trouve sans Parlement, le mandat des députés et des deux tiers des sénateurs étant arrivé à échéance.

                                  
Affichées le vendredi 9 janvier 2004
                         
Pretoria défend sa volonté "d'aider le peuple d'Haiti, pas le gouvernement
              
Par Agence France-Presse

PRETORIA, 9 jan (AFP) - Le gouvernement sud-africain a vigoureusement défendu sa présence, extrêmement controversée, aux célébrations du bicentenaire d'Haïti malgré la crise politique dans ce pays, en expliquant sa volonté "d'aider le peuple d'Haïti, pas de soutenir le gouvernement".

"Haïti nous intéresse et nous garderons un oeil sur ce qui se passe là-bas", a déclaré à la presse la ministre des Affaires étrangères Nkosazana Dlamini-Zuma, évoquant le désir de l'Afrique du Sud et de l'Union africaine (UA), de raviver les liens avec les descendants d'Africains dans le monde.

Dlamini-Zuma a indiqué que Haïti avait demandé à Pretoria une aide en matière d'éducation et d'agriculture, que l'Afrique du Sud ne peut refuser au nom d'un régime contesté.

"L'aide que nous donnerons n'est pas pour envoyer le président Jean- Bertrand Aristide à l'université. Et si les gens ont faim, devrions- nous refuser une assistance agricole jusqu'à ce qu'Haïti ait un gouvernement populaire ?", a demandé la ministre.

"Nous n'aidons pas le gouvernement, nous aidons le peuple haïtien", a- t-elle martelé, ajoutant que l'opposition haïtienne elle-même n'a jamais demandé au président Thabo Mbeki d'annuler sa visite, mais à pouvoir le rencontrer, ce qui fut organisé.

Mbeki, seul chef d'Etat étranger à avoir participé aux cérémonies du bicentenaire, a été extrêmement critiqué par la presse et l'opposition sud-africaines, qui ont dénoncé l'association fâcheuse avec un dirigeant comme Aristide, et ont fustigé les 10 millions de rands (1,5 millions USD) donnés par Pretoria pour les célébrations.

"Nous sommes fiers d'avoir été associé à des célébrations qui ont montré aux Haïtiens que s'ils ont pu vaincre les esclavagistes britanniques, français et espagnols, ils doivent, avec le soutien adéquat, pouvoir combattre la pauvreté", a conclu Dlamini-Zuma.

                                              
Affichées le jeudi 8 janvier 2004
                     
Aristide du prophète au dictateur
                                
Par Jean-Micehel Caroit, Le Monde

A 50 ans, le président haïtien, ancien prêtre des bidonvilles, paraît de plus en plus isolé, mais il s'accroche au pouvoir, avec le soutien des milices. Jean-Bertrand Aristide rêvait d'être le Toussaint Louverture du XXIe siècle. Le père d'une nouvelle indépendance, deux siècles après la proclamation de la première république noire. Celui qui aurait tiré les Haïtiens de leur misère pour les conduire à une "pauvreté digne". Mais le temps du rêve est terminé : nombre de ses compatriotes le comparent aujourd'hui à Jean-Claude Duvalier, le dictateur qu'il fustigeait à la fin des années 1980 lorsqu'il n'était qu'un jeune curé révolutionnaire des bidonvilles de Port-au-Prince. S'appuyant sur les "chimères", bandes armées qui ont remplacé les "tontons macoutes" des Duvalier, et jouant habilement des hésitations de Washington, "Titid", comme on le surnomme, s'accroche au fauteuil présidentiel face à la colère grandissante de son peuple.

Après avoir incarné un immense espoir de changement démocratique à la chute de la dictature des Duvalier, Aristide s'est révélé incapable d'apporter un début de solution aux maux qui rongent la société haïtienne. Depuis son irruption à la tête de l'Etat, il y a treize ans, le pays le plus pauvre des Amériques a continué de s'enfoncer dans la crise.

Par ses atermoiements, ses promesses non tenues, la communauté internationale porte sa part de responsabilité dans cet échec. Mais, en s'opposant au renforcement des institutions, en confortant l'image d'un président omnipotent et messianique, en recourant aux vieilles recettes latino-américaines du clientélisme, de la corruption et de la violence extrajudiciaire, Aristide lui-même est le grand responsable du désastre.

Ceux qui l'ont porté au pouvoir, en 1990, les idéalistes qui communiaient avec lui dans la théologie de la libération, ont été parmi les premiers à dénoncer en lui la graine de dictateur. Mais la soif de pouvoir absolu, l'incapacité de négocier honnêtement n'ont rencontré au départ que peu d'obstacles.

Les journalistes de la radio haïtienne, les intellectuels et quelques hommes politiques courageux ont d'abord dénoncé les dérives du régime. Puis la société civile, les étudiants et la grande masse de la population ont pris le relais. Retranché avec sa famille dans son imposante résidence de Tabarre, dans la banlieue de la capitale, sous la protection de gardes du corps américains, ne se déplaçant qu'en hélicoptère, "Titid" s'est coupé du petit peuple, qui voyait en lui un prophète. Sans jamais élucider l'origine de sa fortune.

Jean-Bertrand Aristide est né le 18 juillet 1953 à Port-Salut, dans le sud-ouest d'Haïti. "Dans une petite maison située dans les mornes (montagnes)", se souvient-il dans Tout moun se moun - Tout homme est un homme, un entretien autobiographique publié en collaboration avec Christophe Wargny, en 1992, au Seuil. Il ne connaît qu'à peine son père, un petit paysan mort peu après sa naissance, et émigre jeune =vec sa mère et sa sour vers la capitale. Scolarisé chez les salésiens, il apprend le français et se révèle un élève brillant, destiné à la prêtrise. En 1966, il intègre le séminaire salésien du Cap-Haïtien, où il conforte sa réputation de fort en thème.

La politique n'entre pas au séminaire, mais la sensibilité sociale imprègne l'enseignement. Le jeune séminariste se lance aussi avec boulimie dans l'apprentissage des langues mortes et vivantes, latin, grec, anglais, espagnol et italien. En 1979, il obtient une licence en psychologie avant de s'envoler pour Israël, où il poursuit des études bibliques et apprend l'hébreu.

De retour à Haïti, il est ordonné prêtre le 3 juillet 1982. Ses sermons enflammés contre la misère et la dictature inquiètent ses supérieurs. Pour éviter des ennuis avec Jean-Claude Duvalier, ceux-ci l'envoient poursuivre son cursus à Montréal. Il y reprend ses études de psychologie, s'intéressant à la "névrose vétérotestamentaire", à laquelle il consacrera un livre en 1994, et à la théologie de la libération, dont l'influence s'étend en Amérique latine.

Rentré à Haïti en 1985, il participe depuis l'église Saint-Jean-Bosco, dans l'un des quartiers les plus misérables de la capitale, à la phase finale du grand déchoukaj (littéralement "déracinement" du duvaliérisme) qui aboutit au départ de "Bébé Doc" (Duvalier fils) le 7 février 1986. C'est au cours de ces années que sa réputation de "porte-voix des sans-voix" et de "curé rouge" se propage dans les bidonvilles du bas de Port-au-Prince, inquiétant les bourgeois des hauteurs.

Porte-parole des ti-legliz, les communautés inspirées par la théologie de la libération, il radicalise le mot d'ordre "Fok sa chanje" ("Il faut que ça change"), lancé par le pape Jean Paul II lors de sa visite à Haïti, en 1983. Maniant avec habileté le créole, il pourfend l'impérialisme américain, " plus dangereux que le sida", dit-il alors, et le "macoutisme" qui continue de sévir malgré le départ des Duvalier. A la tête de sa fondation Lafanmi se lavi (La famille c'est la vie), il s'intéresse au sort des enfants des rues, auxquels il offre un gîte et de petits emplois.

Jean-Bertrand Aristide est la cible de plusieurs tentatives d'assassinat. Il devient la bête noire de la hiérarchie catholique et du Vatican, qui tentent de l'éloigner d'Haïti. Le jeune prêtre échappe de justesse à la mort, le 11 septembre 1988, lorsqu'une horde de "tontons macoutes" attaquent Saint-Jean-Bosco, où il célèbre la messe. Treize fidèles sont massacrés, l'église incendiée. En proie à une sévère dépression, le Père Aristide se cache.

Poussés par le nonce apostolique Paolo Roméo et la majorité des évêques, qui accusent le fugitif de tenir des propos "incitant à la haine, à la violence et à la lutte des classes", les salésiens l'expulsent de leur ordre. Des milliers de jeunes manifestent pour empêcher son transfert à l'étranger. Aristide a peut-être perdu son ordre et sa paroisse, mais sa popularité s'étend.

Après avoir prôné le boycottage des élections, il se lance dans la campagne présidentielle de 1990, au dernier moment, pour "se soumettre à la volonté du peuple". C'est la candidature de l'ancien chef des "tontons macoutes", Roger Lafontant, qui, par réaction, le pose en "catalyseur du camp démocratique", à la place du social-démocrate Victor Benoît.

Durant la campagne, il tempère ses propos contre le capitalisme et l'Eglise, évoquant "l'union merveilleuse" entre le peuple et les militaires. En quelques semaines, sa candidature se transforme en lavalas ("l'avalanche"), balayant tout sur son passage, à commencer par les aspirations de Marc Bazin, le candidat de centre droit. La victoire de "Titid" lors de ces premières élections démocratiques est écrasante, malgré le flou de son programme, résumé dans deux documents, "La chance qui passe" et "La chance à prendre".

" Après la fête, les tambours sont lourds", avait averti, en créole, l'ambassadeur des Etats-Unis, Alvin Adams. Avant même la prestation de serment du jeune prêtre, Roger Lafontant tente un coup d'Etat, qui échoue face à la mobilisation des quartiers populaires.

Beaucoup plus brutale et bénéficiant du soutien à peine voilé de Joaquin Balaguer, le vieux caudillo de la République dominicaine voisine, la deuxième tentative réussit le 30 septembre 1991, après sept mois d'un gouvernement hésitant. Deux jours avant le putsch, Aristide avait incité ses partisans à recourir au "père Lebrun" (le supplice du pneu enflammé autour du cou). Il a la vie sauve grâce à l'intervention de l'ambassadeur de France, Jean-Raphaël Dufour, et se réfugie au Venezuela, puis aux Etats-Unis.

Les militaires et les "attachés" (miliciens) mènent une répression qui fera plus de trois mille victimes durant les trois ans de régime de facto. L'attitude de Washington, pour le moins ambiguë lors du coup d'Etat, change après l'arrivée du démocrate Bill Clinton à la Maison Blanche, en janvier 1993. La communauté internationale impose des sanctions économiques tandis qu'une marée de boat people menace la Floride. Le président Clinton se décide à intervenir en septembre 1994. Plus de 20 000 soldats américains débarquent à Haïti, où ils rétablissent Aristide dans ses fonctions.

Peu après son retour, ce dernier dissout l'armée, remplacée par une police civile. La bataille pour son contrôle deviendra l'un des principaux contentieux avec ses anciens alliés et démasquera sa volonté de contrôler tous les rouages de l'Etat. Tenté de rester au pouvoir au-delà du terme de son mandat, pour "compenser" ses trois ans d'exil, Aristide cède finalement aux pressions internationales, non sans désigner son successeur, René Préval, son marassa ("jumeau").

L'ancien curé des bidonvilles épouse Mildred Trouillot, une avocate haïtiano-américaine à la peau claire, dont il aura deux filles, et se retire dans sa résidence de Tabarre, d'où il continue de tirer les ficelles du pouvoir. Déjà plusieurs de ses proches dénoncent son ego démesuré, sa soif de pouvoir et la corruption de son entourage. Aristide consomme la division de la mouvance Lavalas en fondant la Fanmi Lavalas et ne cache pas son intention de détruire l'Organisation politique Lavalas (OPL) rivale.

Cette guerre fratricide provoque la démission du premier ministre, Rosny Smarth, dont le programme de réformes économiques, pourtant négocié par Aristide avec les bailleurs de fonds avant son retour d'exil, est saboté par les "organisations populaires" (OP), nouvelles milices à la solde du pouvoir. Aristide refuse de condamner les violences de ces OP, qui agressent en toute impunité opposants, journalistes et défenseurs des droits de l'homme. Son cynisme face à l'assassinat de Jean Dominique, le plus célèbre des journalistes haïtiens, convainc les incrédules qu'il est prêt à tout pour parvenir à ses fins.

Les zins (rumeurs) se multiplient à propos de l'origine de sa fortune. On l'accuse d'avoir détourné des donations de Taïwan. Il aurait aussi privatisé à son profit, avec son épouse et des associés américains proches du Parti démocrate, les communications téléphoniques internationales. Il s'appuie également sur Gladys Lauture, ancienne associée de Michèle Duvalier, l'épouse de "Bébé Doc". Cette femme d'influence est au cour du réseau de l'ombre qui permet de bâtir quelques grandes fortunes alors qu'Haïti se désagrège. Elle sert d'entremetteuse entre l'ancien curé et les riches familles qui, pour la plupart, avaient financé le coup d'Etat de 1991. Naguère champion de la transparence, Aristide esquive les accusations ou répond, impassible, que sa fortune vient de ses droits d'auteur et de ses conférences à l'étranger.

Réélu en novembre 2000, lors d'élections boycottées par l'opposition et marquées par une très faible participation, il souffre désormais d'un déficit de légitimité. Tant à l'intérieur, où ses anciens alliés l'accusent de vouloir instaurer une nouvelle dictature, que sur la scène internationale, où Haïti est perçu comme un Etat abandonné au narcotrafic. La crise politique s'éternise et provoque le gel des programmes de coopération.

Jean-Bertrand Aristide accuse la communauté internationale d'imposer un "embargo économique" responsable de tous les maux d'Haïti. Il s'appuie de plus en plus ouvertement sur les "chimères" et reçoit les chefs de gang au palais présidentiel pour arbitrer leurs sanglantes disputes, souvent liées au trafic de drogue. Grâce aux chaînes de télévision, dont il prend le contrôle par l'intermédiaire de prête-noms, le culte de sa personnalité envahit les écrans.

A l'approche du bicentenaire de l'indépendance (1er janvier 2004), Aristide lance une campagne exigeant "réparation et restitution" à l'ancienne puissance coloniale. Plus de 21 milliards de dollars sont réclamés à la France. Selon lui, cet argent permettrait d'arracher Haïti à la misère. Les opposants et les intellectuels dénoncent l'imposture d'un régime illégitime et corrompu. En septembre 2003, l'assassinat d'Amiot Métayer, puissant chef d'un gang surnommé "l'armée cannibale" (Le Monde du 5 novembre 2003), que l'on disait prêt à faire des révélations embarrassantes pour le pouvoir, a déclenché une vague de manifestations antigouvernementales.

Seul le président d'Afrique du Sud, Thabo Mbeki, se rend à Port-au-Prince pour les cérémonies du bicentenaire. Ce voyage, effectué sous haute protection, lui vaut de cinglantes critiques de l'opposition sud-africaine. Les autres invités, dont le Cubain Fidel Castro, le Vénézuélien Hugo Chavez, le Brésilien Lula et tous les chefs d'Etat africains, ont préféré s'excuser, malgré la portée historique de cet anniversaire commémorant la victoire des esclaves.

Reimprimé du journal Le Monde, édition du 8 janvier 2004.

Un policier passe aux aveux; declaration du policier Jules Belimaire, A3

On le nomme Jules BELIMAIRE, policier A3, issu de la première promotion formée à l'Académie de Police Nationale d'Haïti, immatriculé au No. 95-01-04-00-228 et affecté à la Direction Départementale de l'Ouest (DDO) à titre de responsable adjoint du Groupe d'Intervention Départementale de l'Ouest (GIDO).

Je suis l'un des douze policiers de GIDO impliqués dans l'affaire des enfants du Président Jean Bertrand ARISTIDE, du 12 août 2003, une affaire montée de toute pièce par Jean Claude JEAN BAPTISTE dont l'objectif principal était de renvoyer le Commissaire Divisionnaire Hermione LEONARD de la DDO et tous ceux soupçonnés d'en être proches, comme l'avait déjà annoncé Johnny OCCILIUS, l'ancien cadre de la Mairie de Cité Soleil, peu avant son départ pour l'exil, en août 2003. Depuis cette affaire, à cause des menaces que je reçois, je me suis mis à couvert. Parmi ces policiers, je suis le plus ciblé pour avoir reçu des ordres manifestement illégaux que j'ai refusé d'exécuter.

Citons entre autres:

Le 12 juillet 2003, à Cité soleil, cinq des policiers qui assuraient la sécurité des activités du Groupe des 184 dont moi, avons par la suite été contactés par un responsable de la police et certains membres du Gouvernement. Ces derniers nous ont invités à participer au Mardis de la Presse du 15 Juillet 2003, aux fins de déclarer que le Groupe des 184 avait tiré sur la population à Cité soleil, ce que nous avons catégoriquement refusé pour avoir vu de nos propres yeux qu'il n'y avait ni mort d'homme ni blessés au sein de la population de Cité Soleil, ce jour-là et que les véritables victimes sont les membres du Groupe des 184, qui ont essuyé des jets de pierre, des tessons de bouteilles et des tirs d'armes à feu etc.

Le 22 juillet 2003, trois jours avant la présentation au Parquet du Coordonnateur du Groupe des 184, André APAID, Jr., Jean Claude JEAN- BAPTISTE m'a contacté par le biais de Jean Musset ELVARISTE, un policier de la quatorzième promotion affecté à la DDO. Elvariste m'approcha pour me dire qu'un chef désirait s'entretenir avec moi sur son portable. Après maintes hésitations, je me suis décidé à répondre.

Mon interlocuteur s'est identifié comme étant Jean-Claude JEAN- BAPTISTE.

Il dit avoir appris que je suis responsable adjoint de GIDO et m'a proposé une rencontre au Commissariat de Delmas 33, le même jour, dans l'après-midi, à quatre heures trente (4:30). Deux policiers de la quatorzième promotion Lucien CEANT, Jean Musset ELVARISTE et moi, Jules BELIMAIRE avons laissé la DDO à destination de Delmas 33 à bord d'un véhicule de police. Lorsque nous fûmes arrivés, Jean-Claude JEAN-BAPTISTE était déjà sur les lieux de la rencontre. Il nous a invités à monter au bureau du Commissaire Emmanuel MOMPREMIER qui s'est déplacé à notre arrivée. Après s'être salués, Jean-Claude JEAN- BAPTISTE m'a posé des questions relatives à mon grade et à ma promotion mettant l'emphase sur mon intérêt à devenir inspecteur. Il m'a, par la suite, confié une mission qui consistait à préparer un plan d'assassinat contre le Coordonnateur du Groupe des 184, considéré comme une menace pour le gouvernement haïtien, lequel plan devait être effectif le 25 juillet 2003, au moment où celui-ci s'apprêterait à se rendre au Parquet de Port-au-Prince. Pour accomplir cette mission, deux autres personnes m'accompagneraient: Jean Musset ELVARISTE et un autre individu de la base Cameroun de Delmas 24 dont j'ignore le nom. Jean-Claude JEAN-BAPTISTE de poursuivre, qu'au cas où le coup ne passait pas, il y aurait quatre (4) enfants des rues, qui devraient se poster dans les parages du parquet, dont le signe apparent serait un bonnet de la couleur du bicolore. Ils avaient pour mission de faire semblant d'essuyer la voiture de André APAID, Jr. et de lui tirer dessus.

DEROULEMENT DE LA MISSION

Le 25 juillet 2003, je me tenais en civil à Lalue, dans la zone de la Promobank, sur la route que le Coordonnateur devait emprunter pour se rendre au Parquet. Le policier Jean Musset ELVARISTE aussi en civil et l'autre individu étaient positionnés un peu plus loin, au niveau du signal lumineux. Sur la fréquence de ma radio, j'ai suivi les conversations concernant les déplacements de la cible. J'ai aussi entendu une voix suggérer d'envoyer Paul RAYMOND ou René CIVIL accomplir la mission mais, une autre a décliné, arguant que ces derniers étaient trop reconnaissables. Une voiture poursuivait le véhicule du Coordonnateur du Groupe des 184 et les occupants donnaient tout le long de la route, les détails concernant les faits et gestes de la cible. Au bout de quelques minutes, mes deux accompagnateurs m'ont désigné une voiture comme étant celle de la cible. Je me suis effectivement rendu compte qu'il s'agissait du véhicule de André APAID, Jr, mais, je leur ai répondu qu'ils se trompaient arguant que la voiture qui s'amenait était celle du responsable de la Chambre du Commerce. Face à leur insistance, je leur ai proposé de nous rendre au Parquet, vérifier qu'il s'agissait vraiment du Coordonnateur du Groupe des 184.

Arrivés au Parquet, comme responsable adjoint de GIDO, j'ai conseillé aux policiers en poste de faire déplacer tous ceux qui se trouvaient dans les environs. J'en ai profité pour vérifier la présence des quatre (4) jeunes préalablement mentionnés par Jean Claude JEAN- BAPTISTE. Au lieu de quatre (4), je n'en ai remarqué que deux (2), un peu suspects et qui portaient le bonnet et des boucles d'oreilles. Je suggérai à mes collègues policiers de ne laisser personne s'approcher de la voiture de André APAID, Jr. Par la suite, Jean Musset ELVARISTE et l'autre individu m'ont fait remarquer qu'ils ne s'étaient pas trompés et que c'était bien le Coordonnateur du Groupe des 184. Ma réponse fut que je ne le connaissais pas. Jean Claude JEAN-BAPTISTE a été informé de l'échec de la mission. Il m'a appelé pour me reprocher de n'avoir pas exécuté l'ordre qu'il m'avait donné. Je lui ai répondu que je ne connaissais pas la cible. Depuis lors, je suis considéré comme un opposant au pouvoir lavalas qui cherche à tout prix à m'abattre.

Je veux signaler à l'intention de tous, qu'en 1995, lorsque j'entrai dans la Police Nationale d'Haïti, je brûlais du désir de servir mon pays en toute honnêteté. Malheureusement, cette institution s'est déviée de la mission qu'elle s'était fixée. Elle est aujourd'hui, synonyme d'un réseau de malfaiteurs, de voleurs, de kidnappeurs, de dealers de drogue. La police est aussi corrompue que politisée et placée au service d'un seul homme, le Président de la République.

Point n'est besoin de passer par l'Académie de Police pour devenir policier; il suffit d'être partisan du pouvoir ou mieux, membres zélés d'Organisations Populaires pro lavalas.

L'infime minorité de policiers sérieux qui prêtent encore leur service à la Police Nationale d'Haïti ne sont pas dans les postes de commande. Ils sont éparpillés dans les endroits les plus reculés du pays.

Les promotions sont octroyées au mépris des lois régissant l'institution. Des gens sont promus commissaires, inspecteurs sans aucune formation policière.

Sur ces entrefaites, j'ai décidé de rendre un dernier service à la Nation et, le plus noble cadeau que je puisse lui offrir est de me soustraire de la Police Nationale d'Haïti pour ne pas/plus être complice, même tacite, des basses oeuvres qui se commettent au vu et au su de tous par ceux-là mêmes qui sont appelés à protéger et servir. Je me permets d'inviter sous mes camarades, frères policiers qui ont encore une certaine honnêteté, à emboîter le pas, car, c'est aussi une manière de dire NON.

Jules BELIMAIRE

                                     
Affichées le mercredi 7 janvier 2004
                      
La trahison d'Aristide
                
De notre envoyé spécial Vincent Hugeux, L'Express du 08-01-2004

A l'heure du bicentenaire de l'indépendance, le «président des pauvres» affiche un piètre bilan. Dans un pays à la dérive, marqué par la violence et le non-droit, il est toujours président et les pauvres n'ont jamais été si pauvres

C'est un infâme cloaque. Un fatras de tôles rouillées, flottant sur des flaques irisées et verdâtres. Dans une puanteur tenace, des gamins nus ou en haillons pataugent sur des amas d'immondices, tandis que leurs aînés, souillés jusqu'au torse, s'échinent à curer un égout engorgé. Bienvenue à Ti'Ayiti, l'une des enclaves les plus sordides de Cité-Soleil, l'immense bidonville de Port-au-Prince. Assourdis par le vent de fronde qui balaie depuis un mois Haïti, les échos du bicentenaire du seul Etat souverain né d'une révolte d'esclaves, célébré le 1er janvier, n'ont guère égayé ce bourbier. Pour autant, nul ici n'accable Jean-Bertrand Aristide, le président que défient dans la rue les campus et les élites. Rien, chez les humbles, ne paraît ternir l'aura du prêtre défroqué. «On lui ment, tranche Noëlsaint Dieufait, maire adjoint de Cité-Soleil. Au Palais national, Aristide me reçoit comme un prince. Mais une muraille de Jéricho a surgi entre nous.» Alors, Noëlsaint embouche la trompette du complot. La misère? L'effarante mortalité infantile, les ravages du sida, le chômage, dont pâtissent les trois quarts des actifs, l'analphabétisme, qui entrave un adulte sur deux? Tout ça, c'est la faute aux colonialistes - Américains et Français en tête - que hérisse la fierté de la «première République nègre»; aux patrons mulâtres, exploiteurs impénitents; aux étudiants manipulés; voire aux ministres et conseillers, «qui nous paient pour qu'on chante leurs louanges». «Titid» (Aristide), il va de soi, ne peut être partout. «Sur un appel de lui, claironne un caïd du quartier, gabardine kaki et cagoule de laine retroussée sur le front, on fonce par milliers au Champ de Mars», terminus de tous les défilés.

En partie régentée par des gangs armés, Cité-Soleil reste l'un des ultimes bastions du mouvement Lavalas - en créole, l'avalanche - la nébuleuse militante dévouée corps et âme à l'ancien curé salésien de Saint-Jean-Bosco. C'est dans ces taudis que le pouvoir recrute les «chimères», jeunes nervis lancés aux trousses de l'ennemi. A l'heure des comptes, ces héritiers des tontons macoutes de l'ère Duvalier et des «attachés» apparus au temps de la junte de Raoul Cédras (1991-1994) viennent empocher sur le seuil du ministère de l'Intérieur les quelques billets de 25 gourdes (un demi-euro environ) que mérite leur zèle. Le 5 décembre dernier, on a ainsi vu une cohorte de chimè, convoyés et guidés par des policiers en tenue, donner l'assaut à la faculté des sciences humaines, théâtre d'un meeting pacifique. Dans leur sillage, des locaux dévastés et une trentaine de blessés, dont le recteur Pierre-Marie Paquiot, les deux jambes fracturées à coups de barre de fer. Les errements de la police nationale (PNH), bricolée voilà dix ans sur les décombres d'une armée putschiste dissoute, reflètent la dérive d'un régime enclin, pour survivre, à orchestrer la violence. Ses unités anti-émeutes peuvent tout autant protéger une foule de marcheurs des rafales d'un commando de chimères que harceler les manifestants ou les livrer aux casseurs. «Une police politisée, passive ou complice», accuse Hérold Jean-François, directeur de Radio Ibo. «Un corps mal formé, mal payé, mal équipé, infiltré par les macoutes, perméable à la corruption et rongé par l'argent de la drogue, admet en écho une ministre d'Aristide. Jamais nous n'avons pu en faire un instrument d'ordre et de sécurité.» Sur injonction du magistrat français Louis Joinet, expert nommé par le secrétaire général de l'ONU, les autorités ont promis en août dernier de démanteler les «brigades spéciales», milices supplétives opérant en tee-shirts noirs. «On les a vus à l'ouvre trois semaines plus tard», soupire un avocat de Cap Haïtien (nord).

Un pays qui a secoué le joug de l'esclavage ne peut retourner à la barbarie

Dans ce commissariat de Cité-Soleil, deux agents tuent le temps. Désouvrés, désabusés et, au sens propre du terme, désarmés. Cinq jours plus tôt, l'un d'eux s'est vu confisquer son revolver de service en pleine rue. La cellule de garde à vue est vide: coffrer un gars du cru requiert un mélange d'héroïsme et de folie. Quant aux deux véhicules garés dans la cour, ils sont paralysés par les pannes. Contraint de lâcher du lest, «Titid» a annoncé, voilà peu, une énième réforme de la PNH. Reste que, de l'aveu même d'un superflic haïtien, aucune mutation, fût-elle mineure, n'échappe à la présidence. Tout juste nommé à la tête de la police, Jean-Robert Faveur a fui aux Etats-Unis en juin 2003, écouré par le clientélisme en vigueur. De fait, certaines promotions pour services rendus laissent pantois. Agent de base, un certain Jeanty Edner a ainsi gravi d'un coup huit échelons de la hiérarchie pour accéder au rang d'inspecteur général. Impliqué dans la liquidation d'un porte-flingue devenu encombrant, Harold Adéclat officie désormais à la direction de la logistique. Torture, extorsion, enlèvements: au péril de leur vie, les défenseurs des droits de l'homme dénoncent l'impunité déroutante dont jouissent d'autres protégés du pouvoir. Le commissaire Négupe Simon peut, sans nuire à son avancement, exécuter de quatre balles dans la tête une jeune femme coupable d'avoir, au plus fort d'une querelle conjugale, atteint d'une pierre mal ajustée son véhicule. De même, les proches de James Montas, policier violeur, ont saboté en toute quiétude une comparution, menaçant la victime et ses avocats. Quant à Josaphat Civil, il sait que ses collègues refusent d'exécuter le mandat d'arrêt que lui vaut le meurtre présumé de trois frères, commis en décembre 2002. L'exemple vient de haut. Washington suspecte plusieurs élus lavalassiens - tout comme un opposant de Cap Haïtien - de collusion avec les trafiquants de cocaïne. Ses agents ont d'ailleurs mis à l'ombre Jacques Ketant, dealer notoire familier du couple présidentiel.

Traitement «zéro tolérance»

Même motif, même punition: le Palais national régit aussi les carrières de magistrats. Aristide a beau jeu de sommer les juges d'«assumer leurs responsabilités». «Au moins 70% d'entre eux sont muselés par l'argent ou les honneurs, objecte Renan Hedouville, animateur du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (Carli). Les autres subissent de terribles pressions.» Au point d'en être réduits à choisir entre la révocation, la démission, le maquis et l'exil. Les justiciables, eux, rechignent à porter plainte, par peur des représailles. «Etre victime, confie l'une des sources de Louis Joinet, c'est déjà être coupable.» Cible favorite des porte-flingues de Lavalas, les médias indépendants collectionnent les dénis de justice. Près de quatre années après les faits, les assassins de Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter, courent toujours. Juges terrorisés, lynchage ou décès inexpliqué de deux meurtriers supposés, mandats restés lettre morte: l'instruction est un modèle du genre. Rescapée de l'attentat qui coûta la vie le jour de Noël 2002 à son garde du corps, la veuve du journaliste, Michèle Montas, lauréate en décembre dernier du prix Reporters sans frontières, a dû trouver refuge à l'étranger puis, la mort dans l'âme, fermer la station. Le cas de Brignol Lindor, patron d'une radio de Petit Goâve massacré à la machette voilà plus de deux ans, paraît plus troublant encore. Membres d'une «organisation populaire» de la mouvance Lavalas, les dix tueurs inculpés ont avoué, sinon revendiqué leur crime. Qu'importe: aucun ne dort sous les verrous. Pis, le tribunal refuse à la famille, exilée en France, le statut de partie civile. Et ne retient aucune charge contre Dumay Bony, un élu aristidien qui avait préconisé d'appliquer au «terroriste» Lindor le traitement «zéro tolérance».

Zéro tolérance: la formule date du 28 juin 2001. Ce jour-là, Jean-Bertrand Aristide invite les Haïtiens à éradiquer l'insécurité. Fidèle à sa vieille fascination pour la justice populaire, il déclenche en fait une vague de règlements de comptes et d'expéditions punitives. Bien sûr, Titid voulait ainsi, à l'en croire, astreindre les délinquants aux seules rigueurs de la loi. Mais le mal est fait. Et ses effets perdurent. «Dans le mois écoulé, précise un prêtre, nous avons recensé une centaine d'assassinats, crapuleux pour l'essentiel. Dans ma paroisse, on a ramassé deux têtes coupées exposées à la vue de tous. Il s'agit d'entretenir un climat de terreur. De prouver que nul n'est à l'abri. Pas plus l'enfant des rues que la marchande ou l'homme d'affaires. Cette volonté de châtier soi-même, c'est aussi la rançon d'une justice discréditée.» La soif de jistis peut bien demeurer l'une des incantations rituelles du lexique aristidien: «Le pays, écrit Louis Joinet dans un rapport accablant, glisse de l'Etat de droit à l'Etat d'impunité.»

«Nous vivons sous une dictature hypocrite, avance Hérold Jean-François. Un despotisme épris du langage de la démocratie.» «Sous les Duvalier, renchérit l'avocat Renan Hedouville, le combat nous opposait à une tyrannie sans fard. Au fond, tout était plus simple.» A une nuance près: le téléphone cellulaire, le réseau Internet et les radios contestataires déjouent la répression. «D'autant, argue un activiste, que, depuis la déroute de Baby Doc [1986], nous avons pris goût à la liberté.» Evêque auxiliaire de Port-au-Prince, Mgr Pierre-André Dumas, exerce volontiers la sienne. Pour preuve, cette sainte colère relayée début décembre par Télé Haïti, la seule chaîne indépendante - et câblée - du pays. «Trop, c'est trop! tonne le prélat quadragénaire. Assez de meurtres, de viols, de brutalité, de gabegie, de corruption, de combines, de trafic de drogue et de mensonge. Assez de juges vendus ou bâillonnés, d'extorsions. Un pays qui a secoué le joug de l'esclavage ne peut retourner à la barbarie. Chaque fois qu'un être se croit investi de pouvoirs divins, l'humanité recule. L'heure de la délivrance approche.» Trois heures après notre entretien, une balle a traversé la voiture de l'évêque, sans l'atteindre. Depuis, il change d'abri chaque nuit.

Le naufrage de Haïti, ce bout d'île désolé des Caraïbes, est aussi celui d'un capitaine égocentrique et populiste. «Je croyais en Titid, confesse Gary, futur sociologue. Son élection, en 1990, m'a comblé. Tout comme son retour, quatre ans plus tard, lorsque les troupes américaines ont chassé la junte. C'était un homme d'Eglise. Il incarnait une exigence morale. Qu'est-il devenu? Un chef de bande, occupé à raviver les anciennes blessures sociales et raciales. Pauvres contre nantis. Noirs contre métis. Après deux cents ans d'histoire, un tel spectacle nous fait honte.» Reclus dans sa villa cossue de Tabarre ou dans un immense palais d'un blanc virginal, vainement rebaptisé «Maison du peuple», isolé par une coterie de courtisans médiocres souvent issus des services de sécurité, le frêle prêcheur au strabisme sartrien s'obstine à invoquer des valeurs dévoyées, usées jusqu'à la corde. La concertation, le dialogue, la dignité. On l'entend répéter à l'envi que la violence est «inacceptable», que l'université ou le droit de vote sont «sacrés». Et, puisque la magie du verbe s'étiole, puisque le charisme d'hier ne rassasie plus, et à grand-peine, que les crève-la-faim, l'ancien disciple de la théologie de la libération se tourne vers les divinités de ce vaudou dont les patriarches flétrissent les méfaits de l'Occident chrétien.

La rumeur, seule ressource inépuisable du pays, et les chancelleries prêtent à Sö Ann, prêtresse du culte ancestral, une influence croissante sur l'élu et son épouse Mildred, une avocate rencontrée au temps de l'exil à Washington. «Voilà son refuge, la matrice de l'identité haïtienne, constate un déçu. Il trône au centre de la toile qu'il a tissée. Au fil des ans, le pouvoir a amplifié ses travers mentaux.» Faut-il pour autant parier que les jours de celui que protège une escouade de gardes du corps américains sont comptés? «Pas si vite, nuance un envoyé du Département d'Etat. Certes, Aristide n'a jamais traversé une telle tempête depuis son retour, mais on aurait tort de sous-estimer l'habileté et l'instinct de survie d'un leader qui, dans le désert politique local, reste le plus populaire.» Sous le sceau de l'anonymat, un ponte de la police le dépeint sous les traits du cynique, «prêt à tuer père et mère pour sauver son fauteuil, dopé par les turbulences au point d'en inventer si besoin».

Le cimetière des illusions

Bien sûr, les défections affaiblissent un clan qui a perdu le monopole de la rue. Trois ministres - Education, Tourisme et Environnement - ont démissionné, effarés par le saccage de la fac de sciences humaines. «Une catastrophe», concède en privé le Premier ministre Yvon Neptune. Sentant le vent tourner, une poignée d'élus Lavalas ont fait de même. Mais il est des reniements dont on s'accommode, tel celui de Dany Toussaint, ancien chef de la police de la capitale. En refusant de lever son immunité, le Sénat lui a épargné une probable inculpation dans l'affaire du meurtre de Jean Dominique...

A Gonaïves (ouest), là même où fut proclamée en 1804 l'indépendance, les gangs armés qui tiennent les quartiers de Raboteau et Jubilé, jusqu'alors acquis à Titid, ont basculé après l'assassinat de leur chef Amiot Métayer, alias Cubain, victime d'un traquenard monté par un homme de main de la présidence. Quelques jours avant la découverte de son cadavre mutilé, le 23 septembre dernier, l'ambassadeur des Etats-Unis avait sommé Aristide de neutraliser ses sbires les plus voyants, à commencer par celui que ses partisans avaient à l'été 2002 libéré en défonçant au bulldozer le mur de la prison. Depuis, l'Armée cannibale de Cubain, devenue le Front de résistance de l'Artibonite, a juré la perte de l'idole déchue. En dépit d'incursions répétées et coûteuses, les troupes d'assaut de la PNH n'ont pu, à ce jour, réduire des insurgés prompts à riposter. Tout juste ont-elles réussi à incendier la maison du défunt et à raser le mausolée carrelé où trônait son buste, et sur lequel flottait la bannière étoilée et le bleu ciel des Nations unies. Bilan du dernier trimestre 2003: 36 morts et 85 blessés. On s'abstient d'ailleurs d'acheminer à l'hôpital ces derniers, touchés le plus souvent par des «tirs marrons», version créole de la balle perdue, de peur de les livrer ainsi à un pouvoir honni; des infirmières les soignent à domicile, avec les moyens du bord.

«Twop san koulé/Fok Aristid alé/Ak tout akolit li yo.» Trop de sang a coulé. Il faut qu'Aristide parte avec toute sa clique. Prisé des étudiants, le slogan tient encore du vou pieux. Il fédère pourtant le Groupe des 184, mosaïque de mouvements émanant de la «société civile», qu'anime Andy Apaid, 52 ans, patron prospère - textile et électronique - d'ascendance libanaise. Qui l'eût cru? Un tel pedigree déchaîne la rancour des aristidiens. A les entendre, le nouveau venu, natif des Etats-Unis, n'est que l'ultime avatar d'une longue lignée de bourgeois prédateurs et apatrides, hier complices des putschistes galonnés, prêts à tout pour reconquérir les leviers du pays, perdus par les urnes. Un peu court. «Pourquoi lui refuser notre confiance? rétorque David, agronome en herbe. On a confié le pays au ''prophète des pauvres'' et voyez le résultat. Lui n'est plus prophète, mais les pauvres sont restés pauvres. Autant essayer un entrepreneur assez fortuné pour rester à l'abri de la tentation.» Plus que son caractère hétéroclite, deux périls guettent le vaste forum au sein duquel le diplômé côtoie le paysan, l'ouvrier, la féministe ou la star de la musique caraïbe. D'abord, son «nouveau contrat social», programme de transition idéaliste et flou, peine à séduire les plus humbles. «Il y a dans ce pays une misère noire et un fric fou, résume un curé, qui planque dans sa paroisse une demi-douzaine de rebelles traqués. Pas facile d'atteler l'une à l'autre.» Dans l'arène électorale haïtienne, où le compromis et le partage n'ont pas cours, le cour et les tripes importent plus que la tête; et il ne suffit pas de déclarer un président élu «hors la loi» pour abréger son mandat; ni de louer la «maturité» du peuple pour engranger les suffrages. Ensuite, l'union sacrée scellée avec la Convergence démocratique, alliance de partis traditionnels, risque d'éclater dès que s'entrebâilleront les grilles du Palais national. Le cimetière des illusions haïtien regorge de leaders providentiels. «Il faut enfin, insiste un combattant des droits humains, sortir du messianisme pour entrer dans la modernité politique.» C'est mal parti. Echalas décharné et grisonnant de Ti'Ayiti, Camille jure que personne - «ni vous, ni moi, ni Titid» - «ne peut sauver la patrie. Seul Dieu le peut».

Partout dans Port-au-Prince, des banderoles aux couleurs du drapeau exigent la Restitisyon. En clair, la restitution par la France des 90 millions de francs-or d'indemnités arrachés au jeune Etat souverain par les colons vaincus. Racket révoltant, mais qui alimente en haut lieu une frénésie démagogique sans bornes. Au prix d'un calcul d'actualisation aussi savant qu'énigmatique, Aristide estime à 21 685 155 571,48 dollars - soit environ 20 milliards d'euros - le montant dû. «Tout Haïtien ressent cette rançon coloniale comme une profonde injustice, qui a lourdement compromis l'envol du pays, admet un enseignant de Gonaïves. Mais la diversion ne trompe personne. Si la France a une dette morale envers nous, qu'elle l'acquitte en construisant des routes et des ponts, ou en dotant les bas quartiers d'eau courante et d'électricité. Mais surtout pas d'argent. Du cash, pour quoi faire? Pour remplir les poches des copains d'Aristide et payer les chimères? Pas question.» Empoisonné, le dossier a pesé sur les travaux de la commission conduite par Régis Debray, chargée par l'Elysée et le Quai d'Orsay de repenser les relations franco-haïtiennes à l'horizon 2020. Auteur d'une confession intitulée Les Masques, le philosophe savait-il qu'il trouverait à Port-au-Prince celui du malheur?                 

Affrontements en Haiti au cours d'une manifestation anti-Aristide
                    
Par Associated Press

PORT-AU-PRINCE, 7 Jan. (AP) - De violents affrontements ont fait au moins neuf blessés mercredi à Port-au-Prince, des miliciens pro-Aristide ayant débarqué au cours d'une manifestation de centaines d'étudiants, rassemblés pour réclamer le départ du président haïtien et dispersés violemment par la police.

Un manifestant a été blessé par balles, un autre a été poignardé, d'autres ont été passés à tabac ou caillassés par les partisans de Jean-Bertrand Aristide, débarqués sur les lieux à bord de camions, armés de matraques et de pierres.

Criant "à bas Aristide", les manifestants, qui portaient des masques chirurgicaux pour se protéger des gaz lacrymogènes, ont été bloqués par des barricades de pneus incendiés et de carcasses de voitures installés par les partisans du prêtre défroqué.

"Nous n'avons pas d'avenir, nous n'avons pas peur", lançait Rodeny Williams, un des manifestants, qui accusent Aristide, l'ancien prêtre des bidonvilles, d'avoir trahi les pauvres et les jeunes, et de s'être transformé en dictateur.

La police est ensuite intervenue, tirant en l'air avant d'ouvrir le feu directement sur les manifestants, qui se sont dispersés.

Quelque 40% des huit millions d'Haïtiens ont moins de 18 ans, et la jeunesse est en révolte contre le président. Les manifestations étudiantes avaient joué un rôle important dans le renversement du président Elie Lescot en 1946, puis de Paul Magloire en 1956. Sous la dictature des Duvalier père et fils, jusqu'en 1986, des milliers d'étudiants ont connu la prison et la répression.

Mercredi, des membres des groupes de la société civile, du clergé, des artistes et des hommes d'affaires devaient rejoindre les étudiants pour cette marche anti-Aristide sur 15 km.

"Le signal que nous envoyons aujourd'hui est que nous voulons un autre Haïti", a déclaré Andy Apaid, coordinateur du "Groupe des 184" et un des chefs de file de l'opposition à Aristide.

La tension, croissante depuis les élections de 2000, marquées par la victoire écrasante du parti d'Aristide, la Fanmi Lavalas, est à son comble ces derniers mois, alors qu'Haïti, première république noire de la planète, a fêté le 1er janvier le bicentenaire ans de son indépendance.

Les violences ont fait 41 morts depuis septembre, mais Aristide affirme qu'il ira au bout de son mandat actuel, en 2006, et l'opposition refuse toute participation à des élections tant qu'il n'aura pas démissionné. AP

nc/v470

                                      
Affichées le mardi 6 janvier 2004
                       
L'église ferme ses portes à Jean-Bertrand Aristide; Les Communautés religieuses favorable au départ du president

Les portes de la cathédrale sont restées fermées. Il n’y a pas eu de Te Deum aux Gonaïves, la ville où fut proclamée l’indépendance d’Haïti, pour les cérémonies de son bicentenaire célébrées jeudi dernier.

Selon le porte-parole du gouvernement Aristide, le prêtre a raté son hélicoptère. A en croire des membres de l’Église, l’évêque et les prêtres du diocèse ont tout fait pour éviter la cérémonie.

Pour les opposants du régime, voilà un signe de plus que l’Église, celle-là même dont Jean-Bertrand Aristide, petit prêtre des bidonvilles, a utilisé la chaire pour arriver à la présidence d’Haïti, lui demande à présent de quitter le pouvoir. Ou, pour les plus indulgents, de le partager.

Fin novembre dernier, la Conférence épiscopale, organe dirigeant de l’Église catholique, suggérait un compromis avec l’opposition pour sortir de la crise politique.

L’idée était de placer le chef de l’État sous la tutelle d’un conseil de représentants des partis, de la société civile, des Églises et de la Cour de cassation qui se serait ensuite chargée d’organiser des législatives en 2004. Le président Aristide qui, initialement, ne voulait pas en entendre parler, s’y dit ouvert à présent.

« Aristide prône le dialogue », assure son porte-parole. « Lorsqu’il a vu la force de la contestation, il s’est agrippé à la proposition des évêques », corrige le père Max Dominique, qui considère que l’offre des Églises est désormais caduque.

D’ailleurs, observe l’évêque de Port-au-Prince Pierre Dumas, à l’époque où le texte a été rendu public, une majorité des 15 évêques aurait volontiers réclamé le départ, sans négociation, du chef de l’État, et ne l’a pas fait pour éviter un bain de sang.

Selon lui, la proposition n’est plus d’actualité depuis le « vendredi noir », lorsque le 5 décembre dernier, des bandes armées au service du pouvoir passaient à tabac des étudiants de l’opposition. « Désormais, la solution la plus simple serait qu’il écourte son mandat ou qu’il démissionne. »

Alors qu’elle est devenue l’initiative de sortie de crise de référence des représentants américains en Haïti, la proposition de l’Église n’est plus guère soutenue par ses membres. De plus en plus de prêtres ont signé des pétitions exhortant le président à quitter le pouvoir. Quant à l’Église protestante, elle a déjà indiqué qu’elle refuserait d’être représentée dans le cadre de cette solution négociée.

Dieu est partout dans la rue haïtienne. De « L’Immaculée, Restaurant dansant » au magasin « Oh Dieu de l’Univers, gaz en gros », de la boutique « Le Sang de Jésus, provisions alimentaires » à la quincaillerie « La Main Forte de l’Éternel ». Pourtant la voix de l’église s’est faite plus timide sur la scène politique. « Pendant le putsch des militaires, aller à la messe, c’était assister à une réunion politique, raconte Mario, 34 ans, maintenant, on ne parle plus de politique à la messe. »

Installée dans la cour de l’évêché, Radio Soleil, qui avait multiplié l’audience du petit prêtre des bidonvilles en diffusant ses sermons sur les ondes, ne couvre désormais plus que l’information religieuse. L’Église a perdu de son aura. « La crédibilité de l’Église a été secouée depuis quelques années, admet l’évêque Dumas. Jean-Bertrand Aristide est sorti de notre sein, ça impose une certaine modestie. »

Éduqué chez les Salésiens dès l’école primaire, Aristide est ordonné prêtre en 1982 et exclu six ans plus tard de son ordre pour « incitation à la haine » et « exaltation de la lutte des classes ». Il entre vite dans un bras de fer avec sa hiérarchie à laquelle il s’impose en s’appuyant sur les communautés de Ti Legliz (La Petite Église). Mario n’allait pas jusqu’à sa paroisse de Saint-Jean-Bosco « mais on se procurait ses cassettes. On les écoutait dès le dimanche soir, le lundi, le mardi... ».

Lorsque l’archevêque François Ligondé tente de faire transférer Aristide, Mario va défiler avec des milliers de personnes en criant : « A bas Ligondé, vive Aristide. » « C’était l’Église d’en bas contre l’Église d’en haut », se souvient Turneb Delpé, un ancien sénateur proche d’Aristide désormais secrétaire général d’un parti d’opposition.

En coulisse, même chez les prêtres qui le soutiennent, il y a bien des choses qui dérangent chez Aristide. En août dernier, le père Joachim Samedi, un ancien compagnon de route d’Aristide a sur les ondes haïtiennes demandé pardon pour avoir proposé « d’élever le père Lebrun au rang d’évêque ». Le père Lebrun, du nom d’un vendeur de pneus de Port-au-Prince, est le nom qu’on donne en Haïti au supplice du collier (un pneu enflammé passé autour du cou). «

Regardez les écrits d’Aristide. Ce sont de constants appels à la violence. Il choisit tous les psaumes d’imprécation de l’Ancien Testament », s’exclame le père Max Dominique. « Quelqu’un qui peut trahir sa foi peut trahir son peuple », assure Fritz de Catalogne, un assureur membre du groupe de l’opposition des « 184 ». En 1995, quand Aristide abandonne son sacerdoce, deux mois avant la fin de son premier mandat, personne ne s’en affecte. Selon des responsables religieux, Rome lui aurait fourni les dispenses avec une rapidité déconcertante.

La version officielle rapportée par son porte-parole est qu’Aristide « avait décidé de ne plus exercer son sacerdoce, parce qu’il avait choisi de se consacrer à la cause du peuple haïtien ». En janvier 1996, Mildred Trouillot, une avocate américaine d’origine haïtienne « accepte de prendre pour époux Jean-Bertrand Aristide et le peuple haïtien ».

Marié et père de famille, Aristide II, comme on l’appelle à son retour au pouvoir en 2000, prend un peu plus ses distances avec le clergé. En avril dernier, un arrêté présidentiel reconnaît le vaudou comme religion à part entière.

Guillemette Faure

Reimprimé du journal le Figaro de l'édition du 6 janvier 2004.

                                
Affichées le dimance 4 janvier 2004
                     
Deux cents ans de misère, de pillage et de vol
                   
Par Véronique Kiesel, Le Temps (SUISSE)

Dans les rues de Port-au-Prince, des banderoles tendues d'un poteau à l'autre invitent la population à se réjouir: le 1er janvier 2004, Haïti fêtera en effet le bicentenaire de son indépendance. A l'époque, les anciens esclaves de cette colonie française réussissaient l'exploit de mettre en déroute les troupes de Napoléon et proclamaient la naissance de la première république noire. Cet événement historique a fait à juste titre la fierté des Haïtiens depuis plusieurs générations.

Mais, cette fois-ci, le c½ur n'y est pas. «Je n'ai pas de quoi payer l'école à mes enfants, j'ai à peine de quoi les nourrir, Titid (Aristide) a trahi le peuple et vous trouvez qu'on devrait se réjouir!», s'exclame Henriette, qui vend des fruits sur la rue. «Nous avons raté l'occasion de faire de 2004 quelque chose de formidable, commente Evans Lescouflair, politicien passé à l'opposition. Le bicentenaire de l'indépendance de Haïti devrait être une fête mondiale. Mais la situation politique actuelle a tout fait capoter. On devrait célébrer la victoire d'une révolte d'esclaves, mais la population se demande pourquoi il faudrait fêter deux cents ans de misère, de pillage et de vol.»

Tentative de diversion

Pour tenter de faire diversion, le président Jean-Bertrand Aristide avait lancé en avril dernier une campagne visant à exiger la «restitution» par la France de plus de 21 milliards de dollars. Après son indépendance gagnée de haute lutte en 1804, la nouvelle République de Haïti avait été mise au ban de la communauté internationale. Charles X avait finalement accepté de reconnaître la souveraineté de Haïti en 1825, en échange du versement de 90 millions de francs or, en guise de dédommagement. Il faudra plus de cent ans à Haïti pour rembourser cette somme énorme, un des premiers exemples de dette injustement réclamée à un pays du tiers-monde par un pays industrialisé.

Mais, l'exigence d'Aristide, brandie presque quotidiennement dans les médias proches du pouvoir, ne trompe pas grand monde, et la population sait que cette somme réclamée jadis par la France est loin d'être la seule responsable de l'actuelle misère haïtienne. D'autant que la France, comme les autres donateurs internationaux, n'attend qu'une chose: une normalisation politique et institutionnelle qui lui permette de débloquer les fonds importants qu'elle souhaite consacrer à la reconstruction de Haïti.

«Il ne faut surtout pas que, à propos de ce bicentenaire, on se contente de se féliciter, de s'autocongratuler à propos de notre glorieux passé, s'exclame Magalie Marcelin, porte-parole d'une organisation féministe. Nous souffrons encore aujourd'hui d'avoir été jadis réduits en esclavage. Nous avons perdu nos traditions africaines, sans pour autant avoir adopté les systèmes de gouvernements européens.» «Il ne faut surtout pas laisser le gouvernement s'approprier la victoire historique de 1804, conclut Magalie. Les gens sont amers, déçus, résignés. Le bicentenaire est une excellente occasion de sortir de ce mode de pensée et de reprendre enfin une vraie citoyenneté, active, et de cesser de remplacer un maître par un autre, comme nous le faisons depuis toujours.»

Une importante aide suisse

C'est le paradoxe de l'aide suisse à Haïti: elle se caractérise par son ancrage historique et le nombre important d'acteurs impliqués, mais elle ne s'est jamais concrétisée par la signature d'un accord bilatéral entre la Direction du développement et de la coopération (DDC) et Port-au-Prince. La raison invoquée à Berne est que la situation politique dans le pays rendait inopportun pareil développement. Une vingtaine d'ONG helvétiques constituent aujourd'hui les relais de l'aide suisse dans l'île, dont certaines par le biais d'une présence sur place, à l'image de Terre des Hommes, Action de Carême, Helvetas, l'Aide suisse à l'enfance haïtienne ou encore l'Entraide protestante. Ceci en plus des liens tissés par les différentes missions religieuses actives depuis le début des années 60. Les contingences politiques locales n'empêchent toutefois pas la DDC d'apporter son soutien financier à ces ONG, dont certains programmes sont pris en charge à 100%. Qu'il s'agisse de programmes de scolarisation, de santé, d'environnement ou encore d'aide à la petite entreprise.

Publié le1 janvier 2004

                            
Affichées le vendredi 2 janvier
                 
Des heurts entre partisans du président Aristide et opposants ont pertubé le bicentenaire d'Haiti

LE MONDE | 02.01.04 | 12h22 Le président sud-africain, Thabo Mbeki, était le seul chef d'Etat étranger présent aux cérémonies. Il a rendu hommage à la révolution haïtienne, "inspiration" pour l'Afrique

La cérémonie marquant, jeudi 1er janvier à Port-au-Prince, le bicentenaire de l'indépendance d'Haïti, a été perturbée par des heurts entre partisans du président Jean-Bertrand Aristide et opposants, durant lesquels au moins huit personnes ont été blessées, dont deux par balles. Le chef de l'Etat a, depuis le palais national, exalté "un bicentenaire de liberté pour un millénaire de paix", devant une foule de dizaines de milliers de partisans agitant des drapeaux, en présence du président sud-africain Thabo Mbeki, son invité de plus haut rang, arrivé le matin dans la capitale.

Jean-Bertrand Aristide a annoncé que des élections se dérouleraient en 2004, "avec l'opposition et la société civile", dont les représentants forment désormais le gros de la contestation en Haïti. Il n'en a toutefois pas précisé la date, en réaffirmant la primauté de son mandat de cinq ans, qui doit s'achever en 2006. Ses opposants demandent son départ en préalable à la tenue de tout scrutin.

"PIVOT GÉOGRAPHIQUE"

Jonglant avec le français, le créole, l'anglais, l'espagnol, il a répété qu'Haïti était "le pivot géographique de la liberté des noirs", rappelant l'aide du pays à Simon Bolivar ainsi que son apport par la défaite des troupes de Napoléon Bonaparte à l'achat de la Louisiane. Remerciant Cuba pour l'aide médicale aux Haïtiens, il a promis des améliorations en matière de santé et d'éducation, annonçant de nouveaux progrès d'ici à 2015, en scandant à chaque phrase la devise d'Haïti : "C'est possible car l'union fait la force !"

Auparavant, le président Mbeki avait salué "une des plus grandes révolutions de l'Histoire" et prôné "une chaîne de solidarité pour combattre la pauvreté, le sous-développement et l'instabilité" : "Nous devons travailler pour le respect de la démocratie, la tolérance. (...) Nous sommes engagés dans une bataille historique pour la renaissance de l'Afrique, car nous avons été inspirés par la révolution haïtienne", a ajouté le président sud-africain, seul chef d'Etat parmi les 24 délégations étrangères présentes.

Une parlementaire démocrate de Californie, Maxine Waters, a de son côté lu une résolution du Congrès américain, présentée par le Black Caucus, organisation des parlementaires noirs américains, félicitant Haïti pour avoir été "le fer de lance de la lutte pour les droits humains".

M. Aristide a écourté sa visite à Gonaïves (nord-ouest) où il devait présider une cérémonie commémorative de la proclamation d'indépendance en 1804. A Gonaïves, deux manifestations, une pro et une anti-Aristide, se sont déroulées sans incident jeudi matin, alors que de nombreux coups de feu y avaient été entendus au cours de la nuit. Les violences entre opposants armés et policiers ont fait, depuis septembre, 36 morts et 85 blessés dans cette cité. –

(AFP.) • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.01.04

André Apaid, harcelé quotidiennement, ne croit plus à un compromis

LE MONDE | 01.01.04 | 12h05 Port-au-prince de notre envoyé spécial André Apaid, coordonnateur du Groupe des 184, l'un des principaux mouvements d'opposition au régime du président Aristide, vit en permanence sous la protection de gardes du corps puissamment armés. "En trois mois, j'ai subi au moins six tentatives d'agression physique ou d'intimidation, explique-t-il. Je reçois des menaces régulièrement, des gangs de jeunes payés par le pouvoir ont cassé la voiture de mon frère, jeté des pierres et des seaux d'excréments sur ma maison. C'est presque la routine."

L'entourage de M. Apaid affirme que ce harcèlement dure depuis des mois. En juillet, alors qu'il s'était rendu dans le bidonville Cité Soleil pour participer à un meeting, ses partisans ont dû le défendre contre une attaque de "chimères", bandes armées proches du pouvoir. Le lendemain, il est accusé par la police d'avoir tué cinq personnes : "C'était délirant, ils n'ont jamais produit de corps ni le moindre indice, mais il a fallu se présenter plusieurs fois devant un juge. L'affaire s'est enlisée, on ne sait même pas si la procédure suit son cours."

Un scénario similaire s'est répété ces jours derniers. Le 22 décembre, lors d'une manifestation organisée par le Groupe des 184, un homme a été tué par balles dans des circonstances mal élucidées : "Aussitôt, la police a retrouvé le frère du mort, et a fait pression sur lui pour qu'il porte plainte contre moi, sous prétexte que mon nom figurait sur la demande d'autorisation de la manifestation", raconte André Apaid.

Mais, très vite, l'affaire échappe à tout contrôle. Le frère de la victime présumée, un jeune séminariste, refuse de céder aux pressions et va se confier à son évêque, qui rend l'affaire publique. Quelques jours plus tard, le juge chargé de l'affaire disparaît, en laissant derrière lui une cassette vidéo où il explique que le gouvernement a tenté de l'obliger à inculper sans preuves M. Apaid et deux de ses collaborateurs et que, dans ces conditions, il préfère s'enfuir.

"ARISTIDE DOIT DÉMISSIONNER ET S'EXILER"

Parmi les diplomates en poste à Port-au- Prince, le bruit court que le corps présenté comme celui du manifestant serait en réalité celui d'un jeune gangster, abattu quelques jours plus tôt dans une attaque de banque – ce qui expliquerait les réticences de son frère à accuser M. Apaid. Le corps de l'homme tué lors de la manifestation aurait disparu peu après son transport dans les locaux de la police.

Malgré tout, M. Apaid tient à se présenter comme un modéré : "Jusqu'à une date récente, j'étais partisan d'une solution de compromis avec Aristide s'il acceptait de nommer un gouvernement d'union nationale, de rétablir les libertés et de promouvoir un nouveau contrat social. Mais après la vague de répression de ces dernières semaines, j'ai changé d'avis. Aristide doit démissionner et s'exiler, il n'y a plus d'autre solution. Je sais que les Etats-Unis souhaitent qu'il reste au pouvoir, mais j'ai le sentiment que le système Aristide est fragilisé ; il est en train de perdre le soutien des gens pauvres, qui l'ont soutenu pendant toutes ces années.

"Je possède des entreprises ici et aux Etats-Unis, je sais que, pour les petites gens, je n'ai pas le profil d'un révolutionnaire, continue-t-il. Mais, à Haïti, le simple fait de vouloir faire des affaires dans la transparence, sans être obligé de passer des accords occultes avec les politiciens, c'est déjà un projet révolutionnaire !" Y. E.

Une existence turbulente 1492 : Christophe Colomb débarque sur l'île d'Hispaniola. 1659 : les Français commencent à coloniser la partie occidentale de l'île. 1791 : insurrection des esclaves sous la conduite de François Toussaint Louverture. 1794 : en France, la Convention nationale abolit l'esclavage. 1802 : l'esclavage est rétabli dans les colonies françaises par Napoléon Bonaparte. 1804 : indépendance d'Haïti après la victoire des anciens esclaves sur les troupes françaises. 1843 : la partie orientale de l'île fait sécession sous le nom de République dominicaine. 1915-34 : occupation d'Haïti par les Etats-Unis, qui y exercent un étroit contrôle économique et financier. 1957 : le médecin François Duvalier, dit "Papa Doc", arrive au pouvoir lors d'élections truquées, avec l'appui de l'armée. Il établit un régime dictatorial, s'appuyant sur les "tontons macoutes", sa milice personnelle. 1964 : François Duvalier se proclame président à vie. 1971 : Jean-Claude Duvalier, dit "Baby Doc", devient président à vie à la mort de son père. 1986 : Duvalier est chassé par un soulèvement populaire. L'armée prend le pouvoir. 1990 : le Père Jean-Bertrand Aristide est élu président. Il est renversé en décembre 1991 par un coup d'Etat militaire. 1994 : intervention militaire américaine avec 20 000 hommes, retour d'exil d'Aristide. 1996 : fin du mandat du président Aristide. Un de ses proches, René Préval, lui succède. 2000 : des élections législatives aux résultats contestés ouvrent une crise politique. Jean-Bertrand Aristide est à nouveau élu président lors d'un scrutin boycotté par l'opposition.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 02.01.04

                  
Affichées le jeudi 1 janvier 2003
                                   
Haiti: Le bicentenaire troublé par des manifestations

Deux opposants ont été blessés par balles alors que le pays célèbre aujourd'hui les deux cents ans de son accession à l'indépendance

Haïti célèbre aujourd'hui le bicentenaire de son indépendance alors que le pays traverse une crise politique majeure marquée par des manifestations quotidiennes. Plusieurs cérémonies sont prévues à Port-au-Prince et aux Gonaïves (nord-ouest) où avait été déclarée l'indépendance. Le président sud-africain Thabo Mbeki est le seul chef d'Etat à avoir accepté l'incitation du président Jean-Bertrand Aristide. La France est représentée par une délégation parlementaire, les Etats-Unis par leur ambassadeur. Mardi, deux personnes ont été blessées par balles lors de la dispersion par la police d'une manifestation de l'opposition qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes à Port-au-Prince.

Port-au-Prince: Guillemette Faure [01 janvier 2004]

Quelques bureaux sont déserts à la Brasserie Prestige. Ce sont ceux de cadres supérieurs, partis manifester pour exiger le départ du président Jean-Bertrand Aristide. Michael Madsen, le président de ce qu'il estime être la plus grande entreprise privée d'Haïti y serait bien allé, lui aussi. A 62 ans, il a renoncé. Mais sa femme est partie défiler, assure-t-il. Et son neveu aussi, patron de l'association des producteurs d'Haïti. L'homme élancé, un Blanc habillé de blanc, a gardé toutes les photos, toutes les vidéos des manifestations précédentes, réclamant le départ de «ce monsieur qui, en treize ans, a foutu le pays en l'air», le président Jean-Bertrand Aristide. La Brasserie Prestige vend toute la gamme de ce qui se boit, du Dom Perignon au King Cola, une boisson presque fluorescente très sucrée et fort prisée dans les bidonvilles, en passant par la bière locale Prestige. Mais, à cause de ce président «incapable», l'entreprise de Michael Madsen doit se contenter pour tout marché domestique de «8 millions de miséreux au pouvoir d'achat inexistant».

Le chef d'entreprise est un sympathisant du «groupe des 184», une formation qui rassemble des membres de la société civile, patrons, médecins, avocats, syndicats, artistes... Des gens qui ne sont d'accord que sur une chose : se débarrasser d'Aristide. «Toutes les couches sociales doivent se révolter contre Aristide», martèle une voix à la radio, «le père Titid est mort». C'est la voix du père Joachim Samedi, un ancien compagnon de route de Jean-Bertrand Aristide que l'on surnommait «père Titid» lorsqu'il était encore le prêtre des bidonvilles, qui déchaînait rêves et enthousiasme après les 29 ans de dictature des Duvalier père et fils. Parmi les manifestants, ce jour-là, Danny Toussaint est un des deux sénateurs à avoir quitté le parti Lavalas d'Aristide. Par conviction, ou parce qu'ils ont senti le vent tourner, d'autres ont quitté le navire. La ministre de l'Education a démissionné lorsque, après une manifestation à l'université le 5 décembre, des bandes armées proches du pouvoir s'en sont pris aux étudiants et ont brisé les jambes du recteur avec des fers à béton. Les ministres de l'Environnement et du Tourisme et de l'Education, l'ambassadeur en République dominicaine ont aussi démissionné.

La veille, dans les rues de Port-au-Prince, ils étaient déjà quelques milliers à manifester. Vêtus des «pépés», ces vêtements de deuxième main qui arrivent des États-Unis, le T-shirt d'une équipe de base-ball d'Alabama pour l'un, celui d'une université du Michigan pour l'autre, ils dévalaient la colline en direction de la place du Champ-de-Mars, bloquant le trafic des tap-taps, ces taxis collectifs bariolés dont les noms clament «merci Jésus», «l'amour de dieu» ou Nike. La photo d'Aristide plantée dans son chapeau de paille, un homme tend la main, grande ouverte. Cinq doigts comme les cinq ans du mandat du président. «Titid pou 5 ans», disent des graffitis sur les murs. «Ils sont là forcés, embarqués par les camions de la société de téléphonie publique», dénonce Michael Madsen, le chef d'entreprise. Quant aux graffitis, on vous explique que, dans la ville d'Aristide, les «chimères» empêchent de s'en prendre au président.

Les «chimères», ce sont ces voyous recrutés dans les bidonvilles pour faire la sale besogne du président. «On n'accepte pas que quelqu'un des bidonvilles puisse faire partie de la scène politique», rétorque Mario Dupuy, porte-parole du gouvernement. Entre un verre de cognac et deux téléphones portables, cet homme élégant et disert explique que l'opposition a, en fait, peur du pouvoir des masses populaires et que la société civile des «184» est coupée de la société haïtienne. Les désenchantés d'Aristide ? «La gauche de la petite bourgeoisie qui tendait une main condescendante aux masses populaires.» Selon lui, «il n'y a pas de crise, il y a un complot» de gens qui veulent «diaboliser le gouvernement populaire pour le présenter comme une dictature», qui «misent sur la stratégie du chaos» pour présenter l'éviction d'Aristide comme la seule solution possible, avec, au premier rang, des chefs d'entreprise qui n'acceptent pas de payer les programmes sociaux du président et préféreraient se partager l'économie du pays.

Le porte-parole brocarde ces syndicats associés aux patrons dans la rue. «Où sont les intérêts des travailleurs ?». Quant au soutien de l'Église, c'est «la petite touche religieuse pour la morale». Ajoutez des journalistes qui «disent tout et n'importe quoi et crient à la liberté de la presse quand le gouvernement répond», des associations de droits de l'homme «partisanes» et voilà qui constitue, selon lui, «une véritable mystification avec un discours d'intoxication pour l'étranger». Haïti est un pays «qui doit aller à son rythme» et, à l'actif du président, il cite les «33 écoles par an» ouvertes depuis son retour au pays. Son école, Jean-Robert Toussaint n'y est pas allé pendant plusieurs mois. Elle est à «Soleil 24», un quartier de Cité Soleil, le plus grand bidonville de la capitale où vivent 400 000 personnes. L'instituteur n'a pas fait classe deux mois cet automne «à cause de la guerre.» Pas celle des deux clans politiques, mais celle des «chefs des quartiers» s'affrontant pour leurs territoires.

«Avec les morts par balles, les enfants ne venaient plus à l'école.» Depuis la mort il y a deux mois de Colibri, un chef de gang de Cité Soleil, le climat semble apaisé. Une grande ombre passe au-dessus des toits de taule, celle d'un Boeing prêt à atterrir. Le bidonville est coincé entre le port et l'aéroport. «Merci Titid», dit un graffiti sur la porte en fer qui sépare le bidonville du port. Parmi les autres «dons du président», un ruban asphalté qui traverse ces quartiers, de l'électricité 24 heures sur 24, rareté à Haïti, et une citerne d'eau qui fonctionne deux heures par jour. Tout cela n'a pas changé grand-chose pour Nadège Dieudonné, qui vit à «Ti Haïti». Des enfants traversent les étendues d'ordures qui bordent l'égout où pataugent des cochons sauvages. Le cloaque sépare Ti Haïti du reste du bidonville. Des maisons de fortune ont été démolies par les intempéries, d'autres ont été brûlées par des installations électriques hasardeuses. Nadège Dieudonné vit là, dans deux minuscules pièces, avec ses sept enfants et une poule. Son mari infirme est «dans les environs». Les tôles du toit laissent passer la pluie. Alors, on met des bassines par terre, on monte sur le lit et on attend que l'eau descende, explique-t-elle, tandis que son fils de 12 ans, qui se remet de la typhoïde, coud des sacs de toile qu'elle vendra au marché. La situation politique ? Elle a «d'autres soucis.»

A Cité Soleil, où «les filles couchent pour un plat de nouilles», on ne tient pas la classe politique en haute estime, explique Gary Gervais, un employé municipal qui n'a pas reçu son salaire (80 euros) depuis juillet. «Quelqu'un qui peut mettre le feu à des pneus peut devenir sénateur», raille-t-il. Pourtant, dans ce quartier, ils restent derrière Aristide. «Les gens ici sont attachés au symbole. Ils croient qu'il est le seul à pouvoir changer leur situation», explique Esteus Kesner, un frère de 37 ans de l'Église Immaculée du quartier. «Le président fait des erreurs», admet Gary Gervais, «mais c'est un combat de classe : le monde qui est en haut contre les masses populaires».

Sur un mur de ce fief du président, un autocollant : «restitution + réparation 21 685 135 571,48 – valeur actualisée 2003». C'est devenu le dernier argument du président Aristide pour ressusciter l'ancien Titid, celui qui relayait les revendications des démunis. A l'indépendance d'Haïti en 1804, le pays avait été exclu de la communauté internationale. Vingt-cinq ans plus tard, Charles X exigeait le paiement de 90 millions de dollars pour reconnaître la nouvelle république. Aristide en demande le remboursement aujourd'hui, réévalué à 21 milliards de dollars. Parce que, selon le coordinateur du Groupe des 184 Andy Alpaid, «tous les Haïtiens sentent un pincement» à la mention de cet épisode de l'histoire, aucun des anti-Aristide ne lui reproche. L'autre complot que dénonce le gouvernement, c'est celui des aides internationales bloquées. Depuis les dérapages des élections législatives de 2000, 500 millions de dollars de prêts sont gelés, asphyxiant l'économie du pays, selon le gouvernement. «De l'argent dans deux heures», promet la publicité géante d'une compagnie de transfert d'argent. Ces compagnies de services financiers occupent l'essentiel des panneaux publicitaires. Avec 800 millions de dollars par an, la diaspora haïtienne aux États-Unis est la principale source de revenus du pays. Au bout du Champ de Mars, un immense meccano inachevé. Sur cette sculpture désolée, 200 marches doivent représenter les 200 années écoulées depuis l'indépendance d'Haïti. A l'image du reste du pays, on peut se demander si le monument sera prêt à temps pour les cérémonies du bicentenaire. Face à lui, le bâtiment blanc claquant du palais national où vit Aristide. «Ce palais, il faut le fermer et le transformer en musée ou en école», s'emporte le patron Michael Matsen. «Parce que, dès qu'on met quelqu'un dedans, il perd la tête.»

© lefigaro.fr 2003

En Haiti, l'opposition veut forcer le président Aristide á se retirer

Les cérémonies du bicentenaire de l'indépendance d'Haïti ont lieu dans un climat de crise politique, alors que le président Jean-Bertrand Aristide rêvait d'une consécration internationale. L'opposition dénonce la "dérive dictatoriale" du régime, qui réprime les manifestations de la rue à l'aide des "chimères", bandes armées des quartiers misérables. L'Eglise catholique a proposé une solution de compromis, soutenue par les Etats-Unis : "Titid", l'ancien "curé des bidonvilles", irait jusqu'au bout du mandat présidentiel, encadré par un conseil composé d'opposants et de personnalités indépendantes. Haïti, le pays le plus pauvre des Amériques, a incarné il y a deux siècles l'espoir du Nouveau Monde : la révolte des esclaves de l'ancienne colonie de Saint-Domingue a infléchi l'histoire de France.

Port-au-Prince de notre envoyé spécial Les cérémonies du bicentenaire de l'indépendance d'Haïti, proclamée le 1er janvier 1804 à l'issue d'une guerre victorieuse contre la France, auraient dû marquer la consécration du président Jean-Bertrand Aristide, qui avait prévu une grande célébration populaire et avait invité des chefs d'Etat du monde entier. En fait, elles se déroulent dans une ambiance de crise et de discorde.

L'opposition, qui entretient une agitation permanente depuis des mois, a refusé d'observer une trêve. Les différents "fronts", "initiatives" et "convergences", qui s'appuient surtout sur les hommes d'affaires, les professions libérales, les élites culturelles et les étudiants, continuent à organiser des grèves, des rassemblements et des manifestations. Ils dénoncent la dérive dictatoriale du président et de son parti Famille Lavalas, la corruption à grande échelle et l'absence de projet cohérent de développement, alors qu'Haïti reste le pays le plus pauvre des Amériques. L'objectif des opposants est de contraindre le président à démissionner, ce qui pourrait s'avérer compliqué, car aucun chef incontesté n'a émergé de la nébuleuse de l'opposition.

Pour enrayer cette contestation, la police a procédé à de nombreuses arrestations de militants, et a réprimé les manifestations en faisant des dizaines de morts et de blessés. L'opposition accuse le pouvoir d'exercer en sous-main une répression encore plus sanglante, en se servant des "chimères", bandes armées recrutées dans les quartiers misérables.

Le seul projet de sortie de crise émane de l'Eglise catholique, fin novembre : le président resterait au pouvoir, mais serait entouré d'un conseil d'union nationale de neuf membres, désignés par la Cour de cassation, le parti Lavalas, les partis d'opposition, les églises catholique et protestantes, des organisations patronales et des associations de défense des droits de l'homme.

L'opposition, qui rêvait de renverser le président avant la fin de l'année, refusa le compromis, d'autant que le pouvoir semblait sur la défensive, suite à la démission de plusieurs ministres, policiers et magistrats. En revanche, les Etats-Unis, dont l'influence sur la vie politique haïtienne est déterminante, ont décidé de soutenir le compromis et d'intervenir en ce sens auprès des deux camps.

DÉSOBÉISSANCE CIVILE

Officiellement, les responsables de l'opposition sont restés sur leurs positions mais, en privé, ils avouent que l'intervention américaine a changé la donne. Georges Celcis (Initiative de la société civile) résume l'état d'esprit général : "Quelles que soient nos convictions, nous savons très bien que si les Etats-Unis ont décidé de maintenir Aristide au pouvoir jusqu'à la fin de son mandat en 2006 tout restera en place. Ici les Américains ont toujours le dernier mot."

De même, André Apaid, coordonnateur du Groupe des 184 - qui fédère désormais plus de 340 organisations passées à l'opposition -, rejette le projet de compromis, mais reconnaît que l'ambiance vient de changer : "Aristide a eu l'intelligence d'obéir aux Américains, il autorise les manifestations, et la violence policière est moins flagrante. Cette tactique lui a donné une bouffée d'oxygène, mais c'est une arme à double tranchant." M. Apaid mise sur une amplification du mouvement, avec des actions de désobéissance civile et surtout une campagne en direction des couches les plus pauvres, qui sont restées à l'écart du mouvement et restent en partie fidèles à "Titid".

De son côté, le président a fait savoir que, faute de mieux, il soutenait le "projet des évêques" et des Etats-Unis. Son directeur de cabinet, Jean-Jacques Desgranges, a répété, mercredi 31 décembre, que le président souhaite entamer la nomination du futur conseil sans délais ni préalable : "Il est prêt à s'asseoir à la table de négociation avec tous les leaders de l'opposition, y compris ceux qui pratiquent la violence de rue et qui réclament sa tête depuis des mois." La démission du président est néanmoins impensable : "Il faut que les Haïtiens s'habituent aux règles du jeu démocratique : quand un président est élu pour cinq ans, il accomplit un mandat de cinq ans."

SOUPE AU POTIRON

A Port-au-Prince, le centre-ville vient d'être nettoyé pour le bicentenaire, mais la tour érigée face au palais national pour immortaliser l'événement n'est pas terminée. Plusieurs délégations étrangères se sont décommandées ou ont réduit leurs effectifs. Les Etats-Unis sont représentés par leur ambassadeur et par une congressiste membre du Black Caucus (l'association des élus noirs). La France a envoyé deux députés. L'Afrique du Sud, qui a fourni à Haïti une aide logistique et financière, notamment en matière de sécurité, est fortement représentée par le président Mbeki.

Les festivités devaient commencer très tôt au palais national, avec une cérémonie patriotique puis une dégustation de la soupe au potiron traditionnelle. Ensuite, le président, sa suite et les invités seront transportés par hélicoptère à Gonaïves, la ville symbole de l'indépendance, pour assister à une messe et à un spectacle en plein air. Les mesures de sécurité sont sévères, car à Gonaïves la répression des manifestations a été très sanglante et on craint des réactions hostiles de la population. Winter Etienne, chef de "L'Armée cannibale", bande armée de Gonaïves récemment passée à l'opposition à la suite de l'assassinat du chef précédent, a annoncé qu'il ferait tout pour perturber les cérémonies. De leur côté, les prêtres vaudous sont inquiets : s'il vient à Gonaïves, Aristide réussira peut-être à s'emparer de l'esprit du général Dessalines, héros de la guerre d'indépendance, ce qui le rendrait invincible. Pendant ce temps, à Port-au-Prince, le Groupe des 184 a prévu une nouvelle manifestation, qui traversera toute la ville, et arrivera aux abords du palais national en début d'après-midi, c'est-à-dire à l'heure où le président rentrera de Gonaïves en hélicoptère. Ils devraient ensuite se retirer sans chercher l'affrontement. Sauf imprévu, les festivités reprendront au palais dans la soirée. D'ultimes cérémonies sont prévues vendredi matin, au Musée national.

Quelques jours plus tard commencera la saison du carnaval, avec ses fêtes de rue interminables et incontrôlables. En temps ordinaire, il s'agit de la période la plus joyeuse de l'année à Haïti mais, dans le climat actuel, ce sera la saison de tous les dangers.

Yves Eudes • ARTICLE PARU DANS LE MONDE L'EDITION DU 02.01.04

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